Pour des raisons de visibilité, le masculin sera utilisé dans ce texte comme générique et désigne donc aussi bien les femmes que les hommes.
Nous parlons aujourd’hui avec Nicka Kalaydina, étudiante en deuxième année de médecine à UBC. Elle menait ces derniers mois un projet qui présentait deux ateliers sur la santé et les soins des réfugiés et des immigrants. RésoSanté C.-B. est heureux de l’avoir accompagné dans l’organisation et dans la présentation de ces ateliers. Nous discuterons de son intérêt pour ce sujet, de ses études et de l’importance de la prestation des services de santé dans la langue du patient.
Dis-nous en un peu sur tes études, ton intérêt pour la médecine, et les langues que tu parles!
Je suis à mi-chemin dans mes études en médecine à UBC. Je commencerai ma troisième année en juin, ce qui consiste en des rotations hospitalières autour de Vancouver. Pour le moment, mes intérêts se dirigent vers la médecine d’urgence et la chirurgie.
Avant la médecine, j’ai complété ma licence et mon master à Queen’s University à Kingston en Ontario et ma licence était en science et philosophie, puis j’ai fait de la recherche en oncologie. Dans la dernière année de mon master, j’ai eu la chance de collaborer avec le département informatique sur un projet sur l’apprentissage automatique. J’ai décidé de poursuivre la médecine parce qu’elle combine mes intérêts dans les arts et la science.
Je parle couramment l’anglais, le français, l’ukrainien et la russe, donc j’aimerais servir mes futurs patients dans ces langues!
Pourquoi étais tu intéressée de faire ton projet sur le sujet de la santé des réfugiés et immigrants? Et pourquoi est-ce important pour les étudiants en médecine d’en apprendre davantage sur le sujet?
Après avoir vécu dans trois provinces – l’Alberta, l’Ontario, et la Colombie Britannique – ainsi que dans deux pays – le Canada et l’Ukraine – j’ai réfléchi beaucoup sur mes propres expériences avec la système de santé au Canada ainsi qu’aux barrières à l’élargissement de l’accès aux soins de santé. Les immigrants et les réfugiés ont souvent plus de difficulté à accéder aux soins de santé à cause de plusieurs facteurs: les barrières linguistiques, le manque de soutien social/économique, l’éloignement géographique des services de santé, le racisme, etc.
Dans mon programme de médecine à UBC, tous les étudiants doivent compléter un projet qui s’appelle « Flexible and Enhanced Learning » (FLEX) pendant la durée du programme. Les projets sont souvent dans le domaine de la recherche scientifique. De mon côté, je voulais développer un projet au croisement de l’éducation médicale et la santé publique. J’ai remarqué qu’il y avait un manque d’apprentissage sur la santé des immigrants et des réfugiés. En effet, j’ai posé la question suivante aux étudiants paramédicaux dans l’atelier que j’ai organisé: Avez-vous déjà travaillé avec des réfugiés? 40% des étudiants ont indiqué « oui ». Il y aura encore plus d’immigrants et réfugiés en Colombie-Britannique dans les années à venir, donc il faudra que les futurs professionnels de la santé aient les outils nécessaires pour répondre à leurs besoins.
C’est pourquoi j’ai piloté un atelier sur la santé des réfugiés pour les étudiants paramédicaux qui font partie du programme Patient & Community Partnership for Education (PCPE). Le PCPE organise des ateliers sur une variété de sujets, animés par des patients, afin que les étudiants puissent apprendre directement des personnes ayant une expérience vécue.
Qu’as-tu appris de nouveau concernant la santé des réfugiés et des immigrants en parlant aux intervenants de ton atelier et en te préparant pour ce projet?
Les intervenants ont partagé leur parcours unique au Canada. Un d’eux était venu dans ce pays grâce à un parrainage privé d’une organisation religieuse. Il était donc intéressant d’en savoir plus sur ce programme. Un autre conférencier a parlé de la façon dont il a demandé l’asile au Canada presque 30 ans après la guerre au Rwanda. Il a partagé les défis juridiques auxquels il a été confronté tout au long de ce processus. Un thème récurrent était le manque d’accès aux soins médicaux, soit en raison des longs délais d’attente ou du manque de médecins de famille. Un autre intervenants a souligné l’importance de plaider en faveur d’une couverture médicale étendue pour les réfugiés et les demandeurs d’asile. J’ai aussi eu la chance d’apprendre les distinctions entre les réfugiés, les demandeurs d’asile, les migrants, et les personnes déplacées à l’intérieur, ainsi que sur les différentes manières juridiques de devenir un réfugié.
Enfin, j’ai découvert des ressources locales pour les réfugiés et les immigrants telles que l’organisation MOSAIC, une clinique de santé pour les réfugiés à Burnaby (New Canadian Clinic) et des services d’interprétation offerts dans la province.
Pourrais tu nous expliquer la différence entre un réfugié et un immigrant – y a-t-il des différences en termes d’accès à la santé dans la langue du patient ici en Colombie-Britannique?
Les réfugiés fuient les conflits armés ou des persécutions, protégés par le droit international, en particulier la Convention de 1951 sur les réfugiés. Ils ne peuvent pas rentrer chez eux en toute sécurité, contrairement aux migrants, qui peuvent rentrer chez eux s’ils le souhaitent. Les migrants choisissent de partir afin d’améliorer leurs vies, mais il y a souvent un manque de menace de persécution directe. Par exemple, ils pourront vouloir partir de leur pays natal avec le but de trouver du travail, chercher une meilleure éducation ou retrouver leur famille.
Ensuite, un demandeur d’asile est une personne qui prétend être un réfugié mais dont la demande n’a pas été évaluée. Cette personne aurait demandé l’asile au motif que le retour dans son pays entraînerait des persécutions en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité ou de ses convictions politiques. Une personne est demandeuse d’asile tant que sa demande est en instance. Ainsi, tous les demandeurs d’asile ne seront pas reconnus comme réfugiés, mais chaque réfugié est initialement un demandeur d’asile. Les personnes déplacées à l’intérieur du pays sont obligées de fuir leur foyer, mais pas de traverser une frontière internationale. Ils peuvent rechercher la sécurité dans les villes voisines, les écoles, les colonies, les camps internes, les forêts, etc. Contrairement aux réfugiés, les personnes déplacées internes ne sont pas protégées par le droit international ni éligibles pour recevoir de nombreux types d’aide. Ils sont légalement sous la protection de leur propre gouvernement.
La principale différence au Canada entre l’accès aux soins pour les réfugiés et les immigrants est que la prestation des soins de santé de base aux réfugiés et aux demandeurs d’asile est réglementée par le Programme Fédéral de Santé Intérimaire (PFSI) avant les régimes d’assurance-maladie provinciaux ou territoriaux. J’ai appris que le PFSI a un processus de remboursement compliqué. En conséquence, les médecins généralistes peuvent être moins enclins à traiter les réfugiés qui comptent sur ce programme. Dans d’autres cas, les médecins généralistes approchent leurs patients réfugiés pour le paiement lorsque le programme PFSI tarde à rembourser ou nécessite encore un autre formulaire avant que le remboursement puisse avoir lieu. En conséquence, les patients sont obligés d’utiliser les services de soins de santé tertiaires ou des salles d’urgence pour des conditions non urgentes. Cela finit par être plus couteux pour notre système de santé, et réduit la continuité des soins, augmente les temps d’attente aux urgences et réduit la satisfaction des patients.
D’après toi, pourquoi la langue joue-t-elle un rôle important dans la prestation des services de santé? As-tu trouvé dans ton parcours de recherche et de préparation pour ce projet que la critère de la langue était particulièrement importante pour les patients réfugiés et/ou immigrants?
Mes parents sont venus au Canada de Lviv, en Ukraine, en 2003, lorsque j’avais sept ans. La langue a toujours été l’une des plus grandes barrières pour eux. Heureusement, ils ont pu trouver un médecin qui parlait leur langue maternelle et il continue d’être notre médecin généraliste à ce jour. Beaucoup d’enfants immigrés perdent leur langue maternelle, mais mes parents ont insisté qu’on parle en russe et en ukrainien à la maison, et j’ai même participé dans les danses ukrainiennes de l’âge de 8 à 11 ans. Ma mère m’a aussi mise en immersion française dès la quatrième année parce qu’elle comprenait la puissance de la langue. C’est grâce à mes parents que j’ai compris l’importance de la langue dès le plus jeune âge. Ma langue me connecte avec ma culture, donc c’est un élément clé de mon identité. Surtout maintenant, avec la guerre en Ukraine m’a fait réfléchir sur la façon dont je peux être solidaire. Ma propre famille est actuellement réfugiée en Pologne, donc rester en contact avec eux n’aurait pas été possible sans la compétence de parler en ukrainien et russe que mes parents m’ont donnée.
La langue est un déterminant social de la santé, donc elle est essentielle au bien-être. Quitter son pays natal, pour n’importe quelle raison, peut être une expérience traumatisante. Ne pas pouvoir partager ses expériences en raison des barrières linguistiques peut exacerber davantage le sentiment d’isolement. À son tour, l’isolement peut avoir des effets négatifs sur la santé. D’un autre côté, la langue peut aussi rapprocher les gens et combattre les sentiments d’isolement. Être compris est quelque chose que nous désirons tous.
Merci à Nicka pour cet entretien!
Nous en profitons pour la remercier également de sa participation régulièrement aux événements de notre projet Franco-Santé qui vise à accompagner les étudiants en santé dans l’apprentissage et le perfectionnement du français.
Toute l’équipe souhaite aussi apporter son soutien à sa famille, ses proches et la population ukrainienne dans son ensemble.